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Notre vie, d’après nos idées, n’est pas la vie telle que Dieu voulait nous la donner, telle qu’elle nous était due. Notre vie est une vie dégénérée, mauvaise, déchue, rien qu’un échantillon de la vie, une mauvaise plaisanterie par rapport à la vraie vie, celle qui dans notre imagination nous était due. D’après nos idées, la tâche principale de notre vie ne consiste pas à vivre cette vie mortelle conformément à la volonté du dispensateur de la vie, ou à la rendre éternelle dans les générations comme chez les Hébreux, ou à l’identifier à la volonté de Dieu comme l’enseigne Jésus ; non, elle consiste à croire qu’après cette vie, qui n’est pas la véritable, commencera la vraie vie.

Jésus ne parle pas de cette vie chimérique qui, soi-disant, nous était due, et que Dieu ne nous donna pas, on n’a jamais su pourquoi. La théorie de la déchéance d’Adam, de la vie éternelle en paradis, et de l’âme immortelle soufflée par Dieu à Adam était inconnue à Jésus-Christ ; il n’en a pas parlé et n’a jamais fait la moindre allusion à son existence.

Jésus parle de la vie telle qu’elle est, telle qu’elle sera toujours pour les hommes ; nous parlons d’une vie que nous nous sommes figurée et qui n’a jamais existé. Comment donc comprendrions-nous la doctrine de Jésus ?

Jésus ne pouvait pas supposer un aussi singulier tour d’esprit chez ses disciples. Il suppose que tous les hommes comprennent que l’anéantissement de la vie personnelle est inévitable, et il leur révèle une vie impérissable. Il offre le vrai bien à ceux qui souffrent ; mais, à ceux qui se croient certains de posséder plus que ne donne Jésus, sa doctrine ne peut rien donner.