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ferme entendit les paroles du sage, où chacun les comprit, où chacun reconnut que Dieu avait parlé par sa bouche et que le sage lui-même n’était autre chose que Dieu en personne ; chacun eut foi dans ses paroles. Et cependant, au lieu de vivre selon les conseils du sage, personne ne se contint plus, on se massacra sans pitié dans une mêlée générale en se disant : La lutte pour la vie est inévitable, cela ne peut pas être autrement.

Que veut donc dire tout cela ? Les bêtes elles-mêmes s’arrangent de manière à brouter sans gâcher le pâturage, et les hommes, après avoir appris les conditions de la vraie vie, et s’être convaincus que Dieu leur avait prescrit de vivre ainsi, vivent encore plus mal parce que, disent-ils, il est impossible de vivre autrement. Ces gens-là ont dû mal comprendre et se figurer tout autre chose que ce qui est. Qu’ont donc pu se figurer les gens de la ferme, pour qu’après avoir cru aux paroles du sage, ils aient pu continuer à vivre comme auparavant, à s’arracher les morceaux, à se battre, à tout gâcher et à courir à leur perte ? Voici en quoi consiste le malentendu : le sage leur avait dit : Votre vie dans cette ferme est mauvaise, amendez-vous et elle deviendra bonne. Ils se figurèrent, eux, que le sage avait blâmé la vie dans cette ferme et leur avait promis une autre vie meilleure hors de cette ferme, quelque part ailleurs. Et alors ils décidèrent tous que cette ferme n’était qu’une auberge, et qu’il ne valait pas la peine de tâcher d’y bien vivre, mais que l’important était de ne pas être frustré de cette autre bonne vie promise ailleurs ! C’est la seule manière de s’expliquer l’étrange conduite des gens de la ferme, dont les uns croient que le sage était Dieu, et les autres que c’était