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Une pareille justification se base toujours sur l’hypothèse d’un assassin imaginaire, qui n’a rien d’humain et qui tue et fait souffrir les innocents ; et cette brute imaginaire, comme il arrive toujours dans les procès d’assassinat des innocents, sert de base aux raisonnements de tous les violateurs sur la nécessité de la violence. Mais un assassin pareil se rencontre très rarement et beaucoup d’hommes pourraient vivre des centaines d’années sans jamais le voir accomplissant son crime. Pourquoi donc baserais-je la règle de ma vie sur cette fiction ?

En raisonnant sur la vie réelle et non sur la fiction, nous voyons quelque chose de tout différent. Nous voyons les autres hommes, nous nous voyons nous-mêmes commettre les crimes les plus cruels et non pas isolément comme l’assassin imaginaire, mais toujours en collaboration avec les autres hommes ; et cela non parce que ces hommes sont des brutes n’ayant rien d’humain, mais parce qu’ils se trouvent dans une voie fausse et raisonnent faux. C’est que, en raisonnant sur la vie, nous nous apercevons au contraire que les choses les plus cruelles : que le meurtre, la dynamite, les gibets, la guillotine, les cellules, la propriété, les tribunaux, les prisons et toutes leurs conséquences, tout cela vient, non du meurtrier imaginaire, mais des hommes qui basent