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cesser son travail et de se mettre à détruire celui des autres.

Étrange égarement ! Un être qui vit aujourd’hui et disparaîtra demain, à qui est donnée une loi définitive, indiscutable, lui indiquant comment il doit vivre durant sa courte vie, s’imagine savoir tout ce qui est utile et bon pour tous les hommes, pour ce monde qui se meut et se développe sans cesse. Et, au nom de cette utilité, imaginée selon sa fantaisie, il prescrit à lui et aux autres de s’écarter pour le moment de la loi indiscutable qui a été donnée à lui et à tous les hommes, et de ne pas agir envers tous comme il voudrait qu’on agît envers lui. Il prescrit de ne pas apporter l’amour dans le monde, mais d’user de violence, de priver de liberté, de décapiter, d’assassiner, d’allumer la haine dans le monde quand nous le trouverons nécessaire. Et il fait cela en sachant que les cruautés les plus terribles, les tortures, les meurtres des hommes par l’Inquisition, par les supplices terribles de chaque révolution, jusqu’aux crimes actuels des anarchistes, n’ont eu lieu et n’ont lieu que parce que les hommes croient savoir ce qu’il faut aux hommes et au monde ; en sachant qu’à chaque moment donné il y a toujours deux adversaires dont chacun affirme qu’il faut employer la violence contre l’autre : les gouvernements contre les anar-