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teur et ne le lâcha plus ; et même il agaçait le voyageur, l’obligeait à aller où bon lui semblait, cueillait des fruits aux arbres et les mangeait sans en donner à son compagnon, et enfin, se moquait de lui de mille manières.

La même chose se passe avec les peuples qui donnent aux gouvernements des soldats et de l’argent. Avec l’argent, les gouvernements achètent des armes et louent ou préparent par l’éducation les chefs militaires brutaux. Et ceux-ci, par de très habiles moyens de démence, élaborés par les siècles, et qu’on appelle la discipline, préparent, avec les hommes pris comme soldats, l’armée disciplinée. La discipline consiste en ce que les hommes qui sont soumis à son éducation pendant quelque temps, perdent tout ce qui est précieux pour l’homme ; c’est-à-dire qu’ils perdent la principale des qualités humaines : la liberté raisonnable, et ils deviennent entre les mains de leurs chefs hiérarchiques les armes dociles et machinales de l’assassinat.

Ce n’est pas en vain que tous les rois, les empereurs, les présidents, maintiennent si sévèrement la discipline, ont si peur de sa destruction et considèrent comme une œuvre des plus importantes, les manœuvres, les inspections, les revues et autres mascarades. Ils savent que tout cela soutient la discipline, et que sur la discipline est basée non seulement leur puissance mais leur existence même.