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peur, parce que chaque refus diminue ce prestige artificiel par quoi les gouvernements en imposent à leurs sujets. Mais les réfractaires n’ont aucune raison de redouter un gouvernement qui demande le crime. En refusant le service militaire, chaque homme risque beaucoup moins qu’en l’accomplissant. Le refus et la punition — prison ou déportation — c’est très souvent une assurance très avantageuse contre les dangers de ce service. En entrant dans l’armée, chaque homme risque de prendre part à une guerre et s’y prépare ; en temps de guerre, il sera comme un condamné à mort, assurément tué ou estropié. Je l’ai vu à Sébastopol où notre régiment, remplaçant à un bastion deux régiments décimés, y est resté le temps qu’il a fallu pour le détruire. Hasard plus favorable, un homme entré au service militaire n’y est pas tué, mais meurt par suite de l’insalubrité des établissements et de la vie militaires. Le troisième cas, c’est qu’il ne puisse supporter une insulte de son chef, et commette un crime contre la discipline : il subira alors une punition pire que celle qu’il aurait subie en refusant le service militaire. Autre cas le plus avantageux : au lieu de la prison ou de la déportation à laquelle il eût été condamné en refusant d’aller au régiment, cet homme passe trois ou cinq années de sa vie dans l’exercice de l’assassinat,