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étrange, depuis quinze siècles personne n’a jamais de place pour prouver que le Christ, auquel nous croyons, n’a pas dit ce qu’il a dit. Et cependant on eût pu le faire si on l’avait voulu. — Il est vrai qu’il ne vaut pas la peine de prouver ce que tout le monde sait. Il suffit de dire : « Securus judicat orbis terrarum. »

Telle est sans exception l’argumentation de tous les croyants lettrés, qui comprennent, par conséquent, la fausseté de leur situation. Leur seule tactique consiste à s’appuyer sur l’autorité de l’église, son ancienneté et son caractère sacré, pour en imposer au lecteur, l’éloigner de la pensée de lire l’Évangile et d’approfondir par lui-même la question. Et cela réussit. — Qui pourrait supposer, en effet, que ce que répètent avec tant d’assurance et de solennité, de siècle en siècle, les archidiacres, les évêques, les archevêques, les saints synodes et les papes, n’est qu’un perfide mensonge et qu’ils calomnient le Christ dans le but de s’assurer les richesses dont ils ont besoin pour mener une vie agréable au détriment des autres. Leur fausseté est devenue tellement évidente aujourd’hui, que leur unique moyen de s’y maintenir est d’intimider le public par leur assurance et leur désinvolture.

La même chose se passe depuis quelques années dans les conseils de revision. Devant une table, on voit assis aux places d’honneur, sous le portrait en pied de l’empereur, de vieux fonctionnaires tout chamarrés de décorations, s’entretenant librement, négligemment, écrivant, ordonnant, appelant. À leurs côtés, en soutane de soie, une grande croix sur la poitrine, les cheveux blancs tombant sur l’étole, un prêtre vénérable se tient près du lutrin sur lequel reposent une croix d’or et un évangile aux coins dorés. On appelle Ivan Petrov. Un adolescent mal vêtu, sale, effrayé, s’avance, le visage décomposé,