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de l’autorité ne rentre pas dans la défense générale. Mais, lorsque j’ai dit que cette distinction n’est pas faite dans la loi de Dieu, et que j’ai rappelé l’obligation pour tous de la doctrine chrétienne de la fraternité, du pardon des offenses, de l’amour, qui, en aucun cas, ne peut se concilier avec le meurtre, les hommes du peuple me l’accordaient généralement, mais de leur côté me demandaient : « Comment se fait-il alors que le gouvernement (qui à leur avis ne peut se tromper) envoie l’armée à la guerre et fasse exécuter des criminels ? » Lorsque je répondais que le gouvernement agit mal en donnant ces ordres, mon interlocuteur se troublait davantage et cessait la conversation ou bien s’irritait contre moi.

« Il est probable qu’on a trouvé une loi pour cela. Les archevêques, j’espère, sont bien aussi savants que vous, » me répondit un soldat.

Puis, absolument sûr que ses chefs ont trouvé une loi qui autorisait leurs ancêtres, leurs héritiers, et des millions d’hommes, et lui-même à servir dans l’armée, il se sentit visiblement tranquillisé et fut persuadé que c’était de ma part une simple ruse, une sorte de devinette que je lui posais.

Tous les hommes de notre monde chrétien savent, d’une façon absolue, et d’après la tradition, et d’après la révélation, et d’après la conscience, que le meurtre est un des plus grands crimes que puisse commettre un homme, comme cela est dit dans l’Évangile, et que ce crime ne peut pas être limité, c’est-à-dire que tuer soit péché pour les uns et ne le soit pas pour les autres. Tous savent que c’est toujours péché quelle que soit la victime. C’est un péché comme l’adultère, comme le vol ou tout autre. Cependant les hommes voient dès leur enfance que le meurtre est non seulement admis, mais encore béni par