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fixée on ne sait pourquoi. Alors seulement le gouverneur dit : « Assez ! Au suivant. » Et on enleva le supplicié, le dos meurtri, sans connaissance ; puis un autre fut amené. Les sanglots de la foule redoublaient, mais le représentant de l’autorité fit continuer l’exécution.

Il en fut ainsi jusqu’au douzième, et chacun d’eux reçut soixante-dix coups. Tous imploraient leur pardon, criaient et gémissaient. Les sanglots de la foule et surtout ceux des femmes devenaient déchirants. Le visage des hommes s’assombrissait de plus en plus. Mais la troupe les entourait et l’exécution ne se termina que lorsqu’elle parut suffisante à ce malheureux à demi enivré et égaré qu’on appelait le gouverneur. Les fonctionnaires, les officiers, les soldats, non seulement assistaient à cette exécution, mais encore ils y participaient puisque, par leur présence, ils rendaient impossible toute résistance de la foule.

Quand je demandai à l’un de ces gouverneurs pourquoi ces exécutions de gens déjà soumis, avec l’importance d’un homme qui connaît toutes les finesses de la sagesse gouvernementale, il me répondit qu’il est reconnu par l’expérience que, si les paysans n’étaient pas châtiés, ils se révolteraient de nouveau et que l’exécution de quelques-uns affermit pour toujours l’autorité du pouvoir.

Et voilà pourquoi le gouverneur de Toula, avec ses fonctionnaires, ses officiers et ses soldats, allait à son tour accomplir une exécution semblable.

Ici encore, l’assassinat et le supplice devaient sanctionner la décision de l’autorité supérieure. Il s’agissait de donner la possibilité à un jeune propriétaire foncier, ayant déjà cent mille roubles de revenu, d’en recevoir encore trois mille pour le bois enlevé par lui à toute