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soi-même, sans aucune lutte, disparût cette organisation qui semble si compliquée et si puissante. Et pour cela, il est inutile qu’il entre quelque chose de nouveau dans la conscience humaine, il faut seulement que se dissipe le brouillard qui voile aux hommes la véritable signification de certains actes de violence ; l’opinion publique et les mœurs chrétiennes, qui se développent, absorberont les mœurs païennes qui permettaient et justifiaient la violence, mais dont le temps finit. Et ce progrès se fait lentement. Seulement, nous ne le remarquons pas comme nous ne remarquons pas le mouvement quand nous tournons avec tout ce qui nous entoure.

Il est vrai que l’organisation sociale, dans ses principaux traits, porte encore le même caractère de violence qu’elle avait il y a mille ans, et même pire sous certains rapports, comme les armements et les guerres, mais l’opinion publique chrétienne grandissante commence déjà son action. L’arbre desséché semble aussi solide qu’avant, il semble même plus solide parce qu’il est devenu plus dur, mais son cœur se creuse et sa chute se prépare. De même l’organisation sociale actuelle, basée sur la violence. L’aspect extérieur reste le même, — les mêmes oppresseurs, les mêmes opprimés, mais leurs vues sur leur situation respective ont changé.

Les hommes qui oppriment, c’est-à-dire ceux qui participent à l’administration, et les hommes qui profitent de l’oppression, c’est-à-dire les riches, ne constituent plus aujourd’hui, comme autrefois, l’élite de la société et ne présentent plus l’idéal de bonheur et de grandeur vers lequel tendaient jadis tous les opprimés.

Aujourd’hui ce sont les oppresseurs qui souvent abandonnent volontairement les avantages de leur situation pour celle des opprimés et cherchent à leur ressembler par la simplicité de leur vie.