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punit ces gens, on les déporte, et la vie continue sa marche comme auparavant. Cependant, ce sont ces faits qui, plus que toute autre chose, compromettent le pouvoir et préparent l’affranchissement des hommes. Ce sont les abeilles isolées, détachées les premières de l’essaim, qui voltigent autour, attendant, ce qui ne peut tarder, que tout l’essaim se détache peu à peu. Et les gouvernements le savent et redoutent ces exemples plus que tous les socialistes, communistes et anarchistes, avec leurs complots et leur dynamite.

Un nouveau règne commence : il est de règle que tout les sujets prêtent serment au nouveau souverain. À cet effet, on les réunit tous dans les églises. Et voici qu’un homme à Perm, un autre à Toula, un troisième, à Moscou, un quatrième à Kalouga, déclarent se refuser à prêter serment, et tous les quatre, sans s’être donné le mot, expliquent leur refus de la même façon, à savoir que, selon la loi chrétienne, il est défendu de jurer et que, même si le serment était permis, ils ne pourraient pas, selon l’esprit de cette loi, promettre d’accomplir les mauvaises actions qu’on leur demande dans la formule du serment, telles que : dénoncer quiconque compromettrait les intérêts du gouvernement, défendre ce dernier par les armes et attaquer ses ennemis. On les fait venir devant les commissaires, les prêtres, les gouverneurs ; on essaye de leur faire entendre raison, on les prie, on les menace, on les punit, mais ils restent inébranlables et ne prêtent pas serment. Ainsi, au milieu de millions d’hommes qui ont prêté serment, vivent quelques hommes qui ne l’ont pas fait.

Et si on leur demande : « Comment donc, vous n’avez pas prêté serment ?

— Non, nous n’avons pas prêté serment.

— Et rien ne vous est arrivé ?