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sacrifices moraux tels que chacun se demande : Puis-je obéir ? Au nom de qui dois-je faire des sacrifices ? — Ces sacrifices se demandent au nom de l’état. Au nom de l’état on me demande de sacrifier tout ce qui peut être cher à un homme : le bonheur, la famille, la sécurité, la dignité humaine. Mais qu’est donc cet état qui réclame des sacrifices si épouvantables ? En quoi nous est-il si nécessaire ?

L’état, nous dit-on, est nécessaire d’abord parce que, sans l’état, vous et moi, nous tous serions sans défense contre la violence des méchants ; ensuite parce que sans l’état nous serions restés sauvages et n’aurions eu ni religion, ni instruction, ni éducation, ni industrie, ni commerce, ni moyens de communication, ni autres institutions sociales, et enfin parce que sans l’état nous aurions couru le danger d’être conquis par les peuples voisins.

« Sans l’état, nous dit-on, nous aurions couru le danger de subir les violences des méchants dans notre propre patrie. »

Mais qui donc sont ces méchants, de la méchanceté et de la violence desquels nous préservent notre état et notre armée ? Il y a trois ou quatre siècles, quand nous étions fiers de nos talents militaires et de nos armes, quand tuer était une action glorieuse, il y avait des hommes de ce genre, mais aujourd’hui il n’y en a plus, et les hommes de notre temps ne portent plus d’armes, et chacun prêche des lois d’humanité, de pitié pour le prochain et désire ce que nous désirons : la possibilité d’une vie tranquille et stable. Cela veut dire qu’il n’y a plus de ces violents contre lesquels l’état doit nous protéger. Et si l’état doit nous défendre contre les hommes qui sont considérés comme criminels, nous savons que ce ne sont pas des hommes d’une autre nature, comme les bêtes féroces