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cacher et pour donner au pouvoir une autre signification, il est pour l’homme une corde, une chaîne dont il sera garrotté et traîné, le knout dont il sera meurtri, le couperet ou la hache qui lui couperont les bras, les jambes, le nez, les oreilles, la tête ; et cela était ainsi sous Néron et Gengis-Kan ; et cela est ainsi aujourd’hui encore sous le gouvernement le plus libéral, celui de la république américaine ou de la république française. Le payement des impôts, l’accomplissement des devoirs sociaux, la soumission aux punitions, toutes choses qui semblent volontaires, ont toujours au fond la crainte d’une violence.

La base du pouvoir est la violence physique ; et la possibilité de faire subir aux hommes une violence physique est due surtout à des individus mal organisés de telle façon qu’ils agissent d’accord tout en se soumettant une seule volonté. Ces réunions d’individus armés qui obéissent à une volonté unique forment l’armée. Le pouvoir se trouve toujours dans la main de ceux qui commandent l’armée, et toujours tous les chefs de pouvoir — depuis les césars romains jusqu’aux empereurs russes et allemands — se soucient de l’armée plus que de toute autre chose, et ne flattent qu’elle, sachant que, si elle est avec eux, le pouvoir leur est assuré.

C’est cette composition et cette force de l’armée, nécessaires à la garantie du pouvoir, qui ont introduit dans la conception sociale de la vie le germe démoralisateur.

Le but du pouvoir et sa raison d’être sont dans la limitation de la liberté des hommes qui voudraient mettre leurs intérêts personnels au-dessus des intérêts de la société. Mais que le pouvoir soit acquis par l’armée, par l’hérédité ou par l’élection, les hommes qui le possèdent ne se distinguent en rien des autres hommes et, comme eux, sont portés à ne pas subordonner leur intérêt à l’in-