Page:Tolstoï - Le salut est en vous.djvu/171

Cette page a été validée par deux contributeurs.

citoyens. Ils l’ont affirmé si longtemps qu’ils ont fini par y croire eux-mêmes ; aussi leur semble-t-il que la justice peut être obligatoire pour les gouvernements. Mais l’histoire démontre que, depuis César jusqu’à Napoléon, et de ce dernier à Bismarck, le gouvernement est toujours, en son essence, une force qui viole la justice, et que cela ne peut pas être autrement. La justice ne peut pas être obligatoire pour celui ou ceux qui disposent d’hommes abusés et dressés à la violence — les soldats, — et, par eux, dominent les autres. C’est pourquoi les gouvernements ne peuvent pas consentir à diminuer le nombre de ces hommes dressés et obéissants qui constituent toute leur force et toute leur influence.

Telle est la manière de voir d’une partie des savants au sujet de la contradiction qui pèse sur notre monde, et tels sont leurs moyens de la résoudre. Dites à ces hommes que la solution dépend uniquement de l’attitude personnelle de chaque homme devant la question morale et religieuse posée aujourd’hui — à savoir : la légitimité ou l’illégitimité du service obligatoire, — ces savants ne feront que hausser les épaules, et ne daigneront pas même répondre. Pour eux, ils ne voient dans cette question qu’une occasion de prononcer des discours, de publier des livres, de nommer des présidents, des vice-présidents, des secrétaires, de se réunir ou de parler dans telle ou telle ville. De tout ce verbiage écrit ou parlé doit sortir, d’après eux, ce résultat que les gouvernements cesseront de recruter des soldats, base de leur force, et, suivant leurs conseils, licencieront leurs armées et resteront sans défense non seulement devant leurs voisins, mais aussi devant leurs propres sujets. C’est comme des brigands ayant garrotté des hommes désarmés pour les dépouiller, qui se laisseraient toucher par des discours sur la souffrance que