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tinctement, et que souhaiter ces biens à qui que ce soit n’est par conséquent pas le patriotisme, mais qu’il en exclut même l’idée.

Et il en est de même pour les particularités caractéristiques de chaque nation, que d’autres défenseurs du patriotisme lui substituent intentionnellement : elles ne constituent pas le patriotisme. On dit que les particularités caractéristiques de chaque peuple forment la condition nécessaire du progrès de l’humanité, et que, par conséquent, le patriotisme qui tend à la conservation de ces particularités est un sentiment bon et utile. Mais n’est-il pas évident que si jadis ces particularités — mœurs, croyances, langue — constituaient la condition naturelle de la vie de l’humanité, de nos jours elles servent d’obstacle principal à la réalisation de l’idéal de l’unité fraternelle des peuples, idéal qui entre déjà dans la conscience des hommes. Et par conséquent, l’entretien et la protection des particularités distinctives, de quelque nationalité que ce soit — russe, allemande, française, anglo-saxonne — provoquant la même tendance non seulement chez les nationalités polonaise, irlandaise, hongroise, mais encore chez les Basques, les Provençaux, les Mordovszi, les Tshouvashy et chez une quantité d’autres, cet entretien et cette protection servent non au rapprochement et à l’union des hommes, mais les séparent de plus en plus.

De sorte que le patriotisme non imaginaire, mais réel, celui que nous connaissons tous, sous l’influence duquel se trouvent la plupart des hommes de notre temps et