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— Que désirez-vous ? demanda-t-il en s’approchant d’elle. Sans répondre, elle sortit rapidement, de dessous sa pèlerine, sa main armée du revolver, et visant la poitrine du ministre tira, mais le manqua.

Le ministre voulut saisir son bras. Elle le repoussa et tira un second coup. Le ministre s’enfuit en courant. On arrêta la jeune femme. Elle tremblait et ne pouvait parler, et, tout d’un coup, elle éclata d’un rire hystérique. Le ministre n’était pas même blessé.

La femme était Tourtchaninova. On la mit dans la maison d’arrêt préventif. Quant au ministre, il reçut les félicitations et les marques de sympathie des personnages les plus haut placés, et de l’empereur lui-même. Il nomma une commission chargée de rechercher le complot dont cet attentat était la conséquence. Il va sans dire qu’il n’y avait aucun complot, mais les fonctionnaires de la police secrète et de la sûreté se mirent soigneusement à rechercher tous les fils du complot inexistant, gagnant consciencieusement leurs émoluments à se lever de bonne heure, le matin, avant le jour, faisant une perquisition après l’autre, scrutant les livres, les papiers, lisant les journaux intimes, les lettres privées, dont ils faisaient des extraits sur de beau papier, avec une belle écriture, interrogeant plusieurs fois Tourtchaninova, confrontant des gens avec elle afin d’apprendre d’elle les noms de ses complices.

Au fond de son âme, le ministre était un brave homme, et il plaignait cette belle et forte Cosaque, mais il se disait que de lourds devoirs d’État lui incombaient et qu’il les exécuterait quelque difficile que cela fût. Et quand son ancien camarade, un