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faisaient les années précédentes. Piotr Nikolaievitch rassembla ses domestiques et leur ordonna de chasser le bétail dans la cour du propriétaire. Les paysans travaillaient dans les champs, et les domestiques, malgré les cris des femmes, s’emparèrent du bétail.

En rentrant du travail, les paysans vinrent ensemble dans la cour du propriétaire et exigèrent qu’on leur rendît le bétail. Piotr Nikolaievitch s’avança à leur rencontre le fusil derrière l’épaule (il rentrait de l’inspection). Il leur déclara qu’il ne rendrait le bétail que moyennant paiement de cinquante kopecks par bête à cornes et vingt kopecks par mouton. Les paysans se mirent à crier que les prairies étaient à eux, que leurs pères et leurs grands-pères les possédaient, et qu’il n’existait pas de loi permettant de s’emparer du bétail d’autrui.

— Rends le bétail, sans quoi, ça ira mal ! dit un vieillard en s’avançant vers Piotr Nikolaievitch.

— Qu’est-ce qui ira mal ? s’écria celui-ci tout pâle, en s’approchant du vieillard.

— Donne le bétail, crapule ! Ne nous oblige pas à pécher.

— Quoi ! s’écria Piotr Nikolaievitch. Et il frappa le vieillard au visage.

— Tu n’as pas le droit de battre ! Amis ! prenons le bétail par force !

Piotr Nikolaievitch voulut s’en aller, mais on ne le laissa point partir. Il voulut se frayer un chemin. Son fusil partit, tuant un paysan. Une mêlée épouvantable s’ensuivit. Harcelé de toutes parts, au bout de cinq minutes, le corps écrasé de Piotr Nikolaievitch était jeté dans le ravin.

Les meurtriers furent jugés par le conseil de