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— Eugène Ivanovitch ! Eugène Ivanovitch ! J’ai une grâce à vous demander, prononça derrière lui une voix, et Eugène aperçut le vieux Samokhine, employé à creuser un puits chez lui. Il se ressaisit, et, se détournant brusquement, se dirigea vers Samokhine. Quand ils eurent fini de causer, il tourna la tête et aperçut les deux femmes, en bas, se dirigeant évidemment vers le puits ou prenant cette direction comme prétexte. Mais elles ne restèrent pas longtemps là et retournèrent à la ronde.

Quand il quitta Samokhine, Eugène retourna à la maison, abattu comme s’il eût commis un crime. Premièrement, elle l’avait compris, elle pensait qu’il désirait la voir, et elle désirait la même chose ; deuxièmement, l’autre femme, Anna Prokhorova, évidemment savait tout cela. Et, le principal, il se sentait vaincu. Il savait qu’il n’avait plus sa volonté, qu’il était poussé par une autre force, qu’il avait échappé aujourd’hui par miracle, mais que demain, après-demain, il succomberait.

Oui, il était perdu ; il ne le comprenait pas autrement. Trahir sa jeune femme aimante, à la campagne, avec une paysanne, au su de tous ! N’était-ce pas la perte, la perte terrible, après laquelle on ne peut plus vivre. « Non, il faut, il faut prendre des mesures. »

« Mon Dieu ! Mon Dieu ! Que me faut-il faire ? Vais-je périr ainsi ? se disait-il. N’y a-t-il donc rien à faire ? Il faut cependant faire quelque chose, ne pas penser à elle. »

Ne pas penser ; et aussitôt c’était à elle qu’il pensait ; il la voyait devant lui, dans l’ombre des platanes.