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même pas. Il lui donnait de l’argent et rien de plus. Il ne savait pas et ne pensait pas que tout le village était au courant de leur liaison, qu’on la jalousait, qu’on lui soutirait de l’argent, qu’on l’encourageait, et que, sous l’influence de l’argent et des conseils de ses parents, la notion du péché se dissipait tout à fait. Il lui semblait que, si les gens l’enviaient, c’était donc que ce qu’elle faisait était bien.

« Il le faut simplement pour la santé, » pensait Eugène. « Admettons que ce n’est pas bien… et quoique personne ne dise rien, tout le monde doit le savoir… La femme qui l’accompagne toujours sait… et si elle sait, sûrement elle a raconté aux autres. Non, j’agis mal, pensait Eugène, mais que faire, ce n’est pas pour longtemps. »

Ce qui surtout gênait Eugène, c’était le mari. D’abord, on ne sait pourquoi, il s’était imaginé que le mari devait être très laid, et cela paraissait justifier un peu sa conduite. Mais il avait vu le mari et il avait été frappé : c’était un beau gaillard, élégant, certainement pas pire que lui et même beaucoup mieux. Au premier rendez-vous qu’ils eurent après cela, il lui dit qu’il avait vu son mari et avait admiré quel beau garçon il était.

— Il n’a pas son pareil dans tout le village ! dit-elle avec fierté.

Cela étonna Eugène ; puis la pensée du mari ne le tourmenta plus. Une fois qu’il se trouvait chez Danilo, celui-ci au milieu de la conversation lui dit très simplement :

— Mikhaïlo m’a demandé l’autre jour si c’est vrai que le maître est avec sa femme. Je lui ai répondu que je n’en savais rien. — Bah ! après