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Étant entré à l’office, par l’escalier de service, Ivan Mironoff se signa, laissa dégeler les glaçons attachés à sa barbe, puis retroussant son armiak, tira une bourse de cuir où il prit 8 roubles 50 de monnaie, qu’il donna à Eugène Mikhaïlovitch, puis enveloppa soigneusement le coupon et le déposa dans sa bourse.

Après avoir remercié le monsieur, Ivan Mironoff, frappant non plus avec le fouet mais avec le manche sa rosse gelée, vouée à la mort et qui remuait à peine les jambes, poussa le traîneau vide vers un débit.

Dans le débit, Ivan Mironoff demanda pour 8 kopecks d’eau-de-vie et de thé, et se réchauffant, devenant même en sueur, l’humeur joyeuse, il se mit à causer avec un portier, assis à la même table. Il causa longtemps avec lui, lui racontant toute sa vie. Il raconta qu’il était du village Vassilievskoié, à douze verstes de la ville, qu’il était séparé de son père et de ses frères, qu’il vivait maintenant avec sa femme et ses enfants, dont l’aîné allait encore à l’école, de sorte qu’il n’était point un aide pour lui. Il raconta qu’il allait s’arrêter ici dans une auberge, et que, demain, il irait au marché aux chevaux, vendrait sa rosse, et verrait s’il ne pourrait pas acheter un autre cheval ; que maintenant il ne lui manquait qu’un rouble pour en avoir 25, et que la moitié de son capital était un coupon. Il prit le coupon et le montra au portier. Le portier ne savait pas lire, mais il assura qu’il lui était arrivé de changer des papiers pareils, pour les locataires, que c’était bon, mais qu’il y en avait aussi de faux. Aussi lui conseilla-t-il, pour plus de sûreté, de le changer ici, dans le débit.