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Elle sait ce que c’est pour moi ; quelle torture ; quelle terrible coup à la fin de ma vie ; un coup qui, probablement, l’abrègera. Du reste, c’est préférable ; mieux vaut la fin que toutes ces souffrances. Et tout cela pour les beaux yeux d’un chenapan. Oh ! oh ! » gémit-il ; et à la pensée de tous les commérages qui ne pouvaient manquer de se produire quand on saurait ici (et probablement tous savaient déjà), un tel sentiment de haine et de colère contre elle bouillonna en lui qu’il éprouva le besoin de lui dire cela, de lui faire comprendre ce qu’elle avait fait. « Elles ne comprennent pas… D’ici tout est près… » pensa-t-il. Il prit son carnet et lut l’adresse : « Rue Koukhonnaia, maison Abramoff, Vera Ivanovna Silverstova. » Elle vivait ici sous ce nom. Il sortit du jardin et héla un fiacre.

— Que désirez-vous, monsieur ? lui demanda la sage-femme, Marie Ivanovna, quand il se trouva sur un petit palier au haut de l’escalier étroit et empuanti.

— Madame Silverstova est-elle ici ?

— Vera Ivanovna ? C’est ici, je vous prie… Elle est sortie pour un moment. Elle est allée dans une boutique mais va rentrer à l’instant.

Michel Ivanovitch suivit la grosse Marie Ivanovna dans le petit salon, et, comme d’un coup de couteau, il se sentit blessé par un cri venu de la pièce voisine et qui lui sembla le cri méchant, dégoûtant, d’un enfant.

Marie Ivanovna s’excusa, passa dans l’autre chambre, d’où il l’entendit calmer un enfant. Quand l’enfant fut calmé, elle revint.

— C’est son enfant. Elle ne va pas tarder à rentrer. Et vous, qui êtes-vous ?