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à sa propre vie ; et le suicide possible en ne tenant pas compte de l’opinion des autres, devenait impossible en ne se souciant que de soi-même. Elle jeta le poison, renonça à se tuer et se mit à vivre, repliée sur elle-même.

Cette vie était pénible, mais cependant c’était la vie, et elle ne voulait ni ne pouvait s’en séparer. Elle se mit à prier, ce qu’elle n’avait pas fait depuis longtemps. Mais la prière ne la soulagea point. Elle souffrait, non pour soi, mais pour la douleur de son père qu’elle prévoyait, dont elle avait pitié et dont elle se sentait coupable. Ainsi s’écoula sa vie pendant quelques mois. Puis, tout d’un coup, survint un événement, imperceptible pour tous, presque pour elle-même, mais qui transforma tout à fait sa vie. Tout d’un coup, pendant qu’elle était assise à tricoter une couverture, elle sentit à l’intérieur de son corps un mouvement étrange. « Non, cela n’est pas possible ! » Elle cessa pour un moment son travail, et bientôt ressentit le même mouvement extraordinaire. « Une fille ou un garçon ? » Et oubliant toute sa vilenie et son mensonge, la colère de sa mère, la douleur de son père, son visage s’éclaira d’un sourire, non plus de ce sourire vilain par lequel elle répondait à ses pareils sourires, à lui, mais d’un sourire pur et joyeux.

Maintenant elle était horrifiée à la pensée qu’elle avait voulu le tuer avec elle ; et elle ne songeait plus maintenant qu’au moyen de partir de la maison, qu’à se cacher dans un endroit pour devenir mère, mère malheureuse, misérable, mais cependant mère. Elle arrangea tout, partit, et alla s’installer dans un chef-lieu reculé où personne ne pourrait la retrouver et où elle se croyait loin des