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II


Durant cette dernière année, Lise avait vécu, sans comparaison, plus que dans toutes les vingt-cinq années précédentes. Cette année, tout d’un coup, le vide de sa vie lui était apparu. Elle avait été frappée de toute la bassesse, de la vilenie de la vie qu’elle menait dans la société riche de Pétersbourg, où, comme tous les autres, elle ne jouissait que de la vie bestiale, extérieure, à l’exclusion de toute vie intérieure. Les soirées, les bals, les concerts, les soupers, les coiffures, les robes de bal laissant voir la beauté du corps ; les adorateurs jeunes et pas jeunes, tous pareils, tous paraissant connaître quelque chose, avoir le droit de jouir de tout et de se moquer de tous ; l’été, le séjour à la campagne, dans la même nature ; parfois la musique, et la littérature ne faisant elle aussi qu’effleurer les questions de la vie, tout cela lui avait paru bon pendant un an, deux ans, trois ans ; mais après sept ou huit ans que cela durait, sans promesse de changement et en perdant de plus en plus de son charme, elle tomba dans une sorte de désespoir qui, parfois, lui faisait désirer la mort. Ses amies la dirigèrent vers la bienfaisance. Elle vit, d’un côté, la misère, la vraie misère, repoussante, et, encore plus pitoyable, la misère cachée ; elle vit aussi la cruelle indifférence des dames patronnesses, qui vont chez les miséreux dans des équipages de luxe et vêtues de robes qui coûtent des milliers de roubles. Et elle se sentit de plus en plus triste. Elle voulait de la vie quelque chose de vrai, non pas un simulacre de vie ; et elle ne trouvait rien. Le meilleur de ses