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faire son service militaire ; et le père envoya Alexis, comme portier, chez le marchand. On donna à Alexis les vieilles bottes de son frère, le bonnet de son père, une poddiovka, et on l’amena en ville. Alexis admirait son accoutrement, mais le marchand ne se montra point satisfait de sa mine.

— Je pensais que tu allais me donner un homme pour remplacer Sémion, — dit le marchand en examinant Alexis, — et voilà le morveux que tu m’as amené. À quoi est-il bon ?

— Il peut faire n’importe quoi : atteler le cheval, faire les courses, et il travaille très bien. Il a l’air d’une borne, comme ça, mais il est très capable. Et, de plus, il est très modeste.

— Eh bien ! Que faire ? Nous verrons. Laisse-le.

Et Alexis commença sa vie chez le marchand. La famille du marchand n’était pas grande : sa femme, sa vieille mère, un fils aîné, marié, très peu instruit, qui travaillait avec le père ; un autre fils, savant, qui avait terminé ses études au lycée, puis était entré à l’Université, d’où on l’avait chassé, et qui, maintenant, vivait à la maison ; et enfin une fille, encore au lycée.

D’abord Alexis ne plut pas. Il était trop paysan, mal fagotté, mal élevé, il tutoyait tout le monde. Mais bientôt on s’habitua à lui. Il travaillait encore mieux que son frère, et, en effet, ne discutait jamais. On le mettait à toutes les besognes, et il faisait tout, très volontiers et très vite, passant sans repos d’un travail à l’autre. Chez le marchand, comme à la maison, on lui mettait sur le dos tout l’ouvrage. Plus il travaillait, plus on lui donnait à faire. La femme du marchand, sa mère, sa fille, le fils, l’employé, la cuisinière, tous l’envoyaient tantôt ici, tantôt là, lui faisaient