Page:Tolstoï - La Sonate à Kreutzer trad Halpérine.djvu/204

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Elle est épouvantable, cette sonate ! et ce presto en est la partie la plus terrible. Toute la musique d’ailleurs est épouvantable. Qu’est-ce donc que la musique ? Pourquoi produit-elle ces effets ?

On prétend qu’elle élève l’âme en l’émouvant. Stupidité ! Mensonge ! Son effet est puissant, certes, mais — je parle pour moi — il n’élève nullement l’âme : il ne l’élève ni l’avilit, il l’excite. Comment vous l’expliquer ? La musique me porte à oublier tout, moi-même, ma véritable situation ; elle me fait croire à ce que je ne crois pas, comprendre ce que je ne comprends pas ; elle me donne un pouvoir que je n’ai pas. Elle me fait l’effet du bâillement ou du rire. Je bâille quand je vois quelqu’un bâiller, je ris en entendant quelqu’un rire. La musique me transporte dans l’état d’esprit où se trouvait celui qui l’a écrite. Je mêle mon âme à la sienne et je