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On lui disait aussi qu’il était indispensable aux hommes et qu’en servant la loi du Christ, la loi de l’amour, il ne pouvait se refuser à leur désir de le voir, car cet éloignement serait une cruauté.

Tout en reconnaissant le bien-fondé de ses observations, il sentait cependant que la source d’eau vive qui était en lui se tarissait de plus en plus et que tous ses actes étaient plutôt pour les hommes que pour Dieu. Enseignait-il les visiteurs, les bénissait-il simplement, priait-il pour les malades, donnait-il des conseils sur leur façon de vivre, recevait-il des remerciements de ceux qu’il avait guéris ou simplement mis sur le bon chemin, toujours et chaque fois il lui était impossible de ne pas se réjouir, de ne pas s’inquiéter des résultats de son activité, de son influence sur les hommes. Il avait pensé jadis être une lumière vive, mais plus il vivait, plus il sentait l’atténuation de la divine lumière de la vérité qui était en lui.

« Dans ce que je fais, quelle est la part de Dieu et celle des hommes ? » Telle était la question qui le torturait et à laquelle il ne pouvait ou plutôt ne voulait pas se décider à répondre. Il sentait aussi que le Malin avait remplacé son activité divine par une activité humaine. Tout en s’avouant la peine et la fatigue dont l’accablaient ses visiteurs, au fond du cœur il s’en réjouissait cependant, heureux qu’il était des louanges qu’on lui prodiguait.

Il fut même un temps où il avait décidé de partir, de se cacher. Il avait tout préparé pour ce faire. Ayant dit au supérieur qu’il avait besoin de quelques vêtements pour distribuer aux pauvres, il dissimula ces vêtements dans sa cellule. Puis il se mit à préparer son plan : il allait s’habiller, couper ses cheveux