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merci, et à lui revient tout l’honneur de ce mode de guerre. Le 24 du mois d’août, le premier détachement de partisans de Davidow fut organisé, et beaucoup d’autres suivirent son exemple. Plus la campagne se prolongeait, plus il s’en formait.

Les partisans détruisaient en détail la grande armée, et balayaient devant eux ces feuilles mortes qui se détachaient elles-mêmes de l’arbre desséché. Au mois d’octobre, lorsque les Français couraient vers Smolensk, on comptait déjà une centaine de ces détachements, de forces numériques et d’allures différentes. Les uns avaient conservé toute l’apparence des troupes régulières, avec de l’infanterie, de l’artillerie et tout le confort habituel de la vie. D’autres ne se composaient que de cosaques et de cavalerie ; d’autres encore étaient un mélange de cavalerie et d’infanterie, et enfin quelques-uns étaient formés uniquement de paysans et de propriétaires, qui restèrent inconnus. On citait un sacristain qui, à la tête d’un de ces derniers, avait fait quelques centaines de prisonniers, et une certaine starostine Vassillissa qui en avait aussi beaucoup sur la conscience. Cette guerre prit tout son développement à la fin du mois d’octobre, et les partisans, étonnés de leur propre audace et s’attendant à tout instant à être entourés et pris par l’ennemi, se cachaient dans les forêts et ne dessellaient jamais leurs chevaux. La guerre une fois en train, chacun savait ce qu’il pouvait entreprendre. Les petits détachements qui, les premiers, commencèrent à suivre de près les Français, trouvaient faisable ce que les chefs de corps plus nombreux n’auraient pas osé prendre sur eux de risquer. Quant aux cosaques et aux paysans qui parvenaient à se faufiler jusqu’au milieu des troupes ennemies, ils croyaient tout possible.

Le 23 octobre, Denissow, tout entier à sa passion pour la guerre de partisans, se trouvait en marche avec son détachement. Il suivait depuis la veille, sans s’éloigner de la forêt qui longeait la grand’route, un convoi considérable de bagages de cavalerie et de prisonniers russes se dirigeant sous bonne escorte vers Smolensk, comme le lui avaient rapporté les espions. En dehors de Denissow, qui avait aussi sa compagnie à peu de distance, le passage de ce convoi était également connu des chefs des grands détachements et de l’état-major. Deux d’entre eux, un Polonais et un Allemand, envoyèrent demander à Denissow, chacun de son côté, s’il ne voulait pas se réunir à eux pour tâcher de mettre la main sur ce butin que