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tous ceux qui se trouvent dans le même cas, se demandait avec étonnement pourquoi on lui adressait ces questions ; car elles n’étaient, après tout, qu’un semblant de bienveillance et de politesse. Il se savait en leur pouvoir, au pouvoir de cette force qui l’avait amené devant eux et leur donnait le droit d’exiger des réponses compromettantes. On lui demanda donc ce qu’il faisait lors de son arrestation ; il répondit, d’un air tragique, qu’il cherchait les parents d’un enfant sauvé par lui des flammes.

« Pourquoi s’était-il colleté avec un maraudeur ?…

— Parce qu’il défendait, répondit-il, une femme attaquée par ce dernier et que le devoir de tout honnête homme était de… »

On l’interrompit, cette digression était inutile.

« Pourquoi s’était-il trouvé dans la cour de la maison qui brûlait ?…

— Parce qu’il était sorti pour voir ce qui se passait en ville. »

On l’interrompit de nouveau : on ne lui demandait pas où il allait, mais pourquoi il se trouvait à l’incendie. Lorsqu’on lui demanda son nom, il refusa de le dire.

« Inscrivez cette réponse, dit le général ; ce n’est pas bien, c’est même très mal !… »

Et l’on emmena les accusés.

Le quatrième jour de son arrestation, les incendies atteignirent leur quartier. Pierre et ses treize compagnons furent emmenés ailleurs, et emprisonnés dans la remise d’une maison de marchands. En traversant les rues, il fut suffoqué par la fumée… Les flammes gagnaient toujours du terrain. Sans comprendre encore l’importance de l’incendie de Moscou, il regardait ce spectacle avec terreur. Durant les quatre jours qu’il resta dans sa nouvelle prison, il y apprit, par des soldats français, qu’on attendait d’un moment à l’autre la décision du maréchal à leur égard. Quel maréchal ? Ils ne le savaient pas. Les journées qui s’écoulèrent jusqu’au 8 septembre, date de leur second interrogatoire, furent les plus pénibles pour Pierre.

X

Le 8 septembre, un officier supérieur, sans doute un haut personnage, à en juger par les témoignages de respect des