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nifestait son action dans tout ce qui se passait en ce moment autour d’elle.

« Eh bien, maman, tout est-il prêt ? demanda Natacha gaiement ? Mais qu’avez-vous ?

— Rien, tout est prêt.

— Eh bien, allons !… » Et la comtesse baissa la tête pour cacher son émotion.

Sonia embrassa Natacha ; celle-ci la questionna du regard.

« Qu’est-ce donc ? qu’est-il arrivé ?

— Rien, rien !

— Quelque chose de mauvais pour moi ? Qu’est-ce donc ? » demanda Natacha, toujours impressionnable comme une sensitive.

Le comte, Pétia, Mme Schoss, Mavra Kouzminichna, Vassilitch entrèrent au salon, fermèrent les portes et s’assirent en silence ; au bout de quelques secondes, le comte se leva le premier, poussa un profond soupir et fit un grand signe de croix devant l’image. Tous suivirent son exemple, puis il embrassa Mavra Kouzminichna et Vassilitch, qui restaient pour garder la maison, et, pendant que ces derniers prenaient sa main au vol et le baisaient à l’épaule, il leur donnait de petites tapes d’amitié sur le dos, en les accompagnant de quelques phrases vagues et bienveillantes. La comtesse s’était retirée dans sa chambre, où Sonia la trouva à genoux devant les images, dont une partie avait été enlevée ; elle avait tenu à emporter avec elle celles qui étaient les plus précieuses comme souvenirs de famille.

À l’entrée, dans la cour, ceux qui partaient, les pantalons passés dans les tiges de leurs bottes, les habits serrés à la taille par des courroies et des ceintures, armés des poignards et des sabres distribués par Pétia, prenaient congé de ceux qui restaient. Comme toujours, au moment du départ il arriva que bien des objets furent oubliés ou mal emballés : aussi les deux heiduques restèrent-ils longtemps aux deux portières de la voiture, prêts à aider la comtesse à y monter, tandis que les femmes de chambre apportaient encore en courant des oreillers et des paquets de toute dimension.

« Elles oublient toujours quelque chose, disait la comtesse. Tu sais pourtant bien, Douniacha, que je ne puis pas être assise comme cela ! »

Et Douniacha, serrant les dents sans répondre, se précipitait, d’un air fâché, pour arranger de nouveau la place de la comtesse.