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— Ouvarka est allé écouter à la pointe du jour, reprit la voix de basse après une pause ; il dit qu’elle a passé dans le bois réservé d’Otradnoë, ils y ont hurlé. »

Cela voulait dire qu’une louve, dont il avait suivi les voies, y était rentrée avec ses louveteaux ; ce bois, détaché du reste du domaine, était situé à deux verstes.

« Il faut y aller ! qu’en dis-tu ? Amène-moi Ouvarka !

— Comme il vous plaira.

— Attends un peu, ne leur donne pas à manger.

— Entendu ! »

Cinq minutes plus tard, Danilo et Ouvarka entraient dans le cabinet de Nicolas. Danilo était de taille moyenne, et pourtant, chose étrange, il produisait dans une chambre le même effet qu’aurait produit un cheval ou un ours au milieu des objets et des conditions de la vie domestique ; il le sentait d’instinct, et, se serrant contre la porte, il s’efforçait de parler bas, de rester immobile, dans la crainte de briser quelque chose, et se hâtait de vider son sac, pour retourner au grand air et échanger le plafond qui l’oppressait contre la voûte du ciel.

Après avoir terminé son interrogatoire et s’être bien fait répéter que la meute ne s’en trouverait que mieux (Danilo lui-même se mourait d’envie de chasser), Nicolas donna l’ordre de seller les chevaux. Au moment où le veneur quittait son cabinet, Natacha y entra vivement : elle n’était ni coiffée ni habillée, mais enveloppée seulement du grand châle de la vieille bonne.

« Tu pars ? Je le disais bien ! Sonia assurait le contraire. Je m’en doutais, car il faut profiter d’une journée pareille !

— Oui, répondit à contre-cœur Nicolas, qui avait en vue une chasse sérieuse et n’aurait voulu par suite emmener ni Pétia ni Natacha. Nous quêtons le loup, ça t’ennuiera.

— Au contraire, et tu le sais bien : c’est très mal à toi, tu fais seller les chevaux, et tu ne nous dis rien !

— Les Russes ne connaissent pas d’obstacles… en avant ! hurla Pétia, qui avait suivi sa sœur.

— Mais tu sais bien aussi que maman ne te le permet pas !

— J’irai, j’irai quand même, reprit Natacha d’un ton décidé.

— Danilo, fais seller mon cheval, et dis à Mikaïlo d’amener ma laisse de lévriers. »

Danilo, déjà mal à l’aise et gêné de se trouver dans une maison, fut encore plus décontenancé de recevoir des ordres de la demoiselle, et il essaya, en baissant les yeux, de se