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à cette prétendue théorie, on se repliât dans l’intérieur du pays, et considéraient la moindre infraction à ces règles fictives, comme une preuve de barbarie, d’ignorance et même de malveillance. Ce parti comprenait les princes allemands, les Allemands en général, Woltzogen, Wintzingerode, et plusieurs autres encore.

Le second parti, le parti adverse, tombait, comme il arrive souvent, dans l’extrême opposé, en demandant à marcher sur la Pologne, et à ne pas suivre un plan déterminé à l’avance : audacieux et entreprenant, il représentait la nationalité du pays, et n’en était par suite que plus exclusif dans la discussion. Parmi les Russes qui commençaient à s’élever, il y avait Bagration et Ermolow : il avait, dit-on, demandé un jour à l’Empereur la faveur d’être promu au grade d’« Allemand » ! Ce parti ne cessait de répéter, en se souvenant des paroles de Souvorow, qu’il était inutile de raisonner et de piquer des épingles sur les cartes, qu’il fallait se battre, mettre l’ennemi en déroute, ne pas le laisser pénétrer en Russie, et ne pas donner à l’armée le temps de se démoraliser.

Le troisième parti, celui qui inspirait le plus de confiance à l’Empereur, était composé de courtisans, médiateurs entre les deux premiers, peu militaires pour la plupart, qui pensaient et disaient ce que pensent et disent d’habitude ceux qui, n’ayant point de conviction arrêtée, tiennent cependant à ne pas le laisser paraître. Ils prétendaient donc que la guerre contre un génie comme Bonaparte (il était redevenu Bonaparte pour eux) exigeait sans aucun doute de savantes combinaisons, de profondes connaissances dans l’art de la guerre ; que Pfuhl y était certainement passé maître, mais que l’étroitesse de son jugement, ce défaut habituel des théoriciens, s’opposait à ce qu’on eût en lui une confiance absolue : qu’il fallait par conséquent tenir compte aussi de l’opinion de ses adversaires, des gens du métier, des gens d’action, dont l’expérience était certaine, afin de réunir les avis les plus sages, pour s’en tenir à un juste milieu. Ils insistaient sur la nécessité de conserver le camp de Drissa, d’après le plan de Pfuhl, en changeant toutefois les dispositions relatives aux deux autres armées. De cette façon, il est vrai, on n’atteignait aucun des deux buts proposés, mais les personnes de ce parti, auquel appartenait également Araktchéïew, pensaient que c’était là encore la meilleure des combinaisons.

Le quatrième courant d’opinion avait à sa tête le grand-duc