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« Qu’il sache que je le ferai, dit-il en se levant et en repoussant sa tasse. Je chasserai de l’Allemagne toute sa parenté, du Wurtemberg, de Bade, de Weimar… Oui, je les chasserai ! Qu’il leur prépare donc un refuge en Russie ! »

Balachow fit un mouvement qui exprimait à la fois son désir de se retirer et ce qu’il y avait de pénible dans l’obligation où il se trouvait d’écouter sans rien répondre, mais Napoléon ne le remarqua pas, et il continua à le traiter, non comme l’ambassadeur de son ennemi, mais comme un homme dont le dévouement lui était forcément acquis, et qui devait se réjouir, à coup sûr, de l’humiliation infligée à celui qui avait été son maître.

« Pourquoi l’Empereur Alexandre a-t-il pris le commandement de ses armées ? Pourquoi ?… La guerre est mon métier, le sien est de régner ! Pourquoi a-t-il assumé une telle responsabilité ? » Napoléon ouvrit sa tabatière, fit quelques pas dans la chambre, puis, tout à coup, marcha brusquement vers Balachow.

« Eh bien, vous ne dites rien, admirateur et courtisan du Tsar ? » lui demanda-t-il d’un ton moqueur, destiné à montrer clairement qu’il n’admettait pas qu’on pût, en sa présence, avoir la moindre admiration pour un autre que pour lui… Les chevaux pour le général sont-ils prêts ? ajouta-t-il en répondant par un signe de tête au salut de Balachow… Donnez-lui les miens, il a loin à aller ! »

Balachow, chargé par Napoléon d’une lettre pour l’Empereur Alexandre, la dernière qu’il lui écrivit, rendit compte au Tsar de l’accueil qui lui avait été fait… et la guerre éclata !


VIII

Le prince André quitta Moscou peu de temps après son entrevue avec Pierre, et se rendit à Pétersbourg ; il disait que c’était pour ses affaires, mais en réalité c’était pour y découvrir Kouraguine, avec qui il tenait à avoir une rencontre. Kouraguine, averti par son beau-frère, s’empressa de s’éloigner, et obtint du ministre de la guerre un emploi dans notre armée de Moldavie. Koutouzow, en revoyant le prince André, qu’il avait toujours beaucoup aimé, lui offrit de l’attacher à