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« On vous rendra les honneurs qui vous sont dus, » reprit-il, et, mettant l’enveloppe dans sa poche, il le laissa seul dans la grange.

Un moment après, M. de Castries, son aide de camp, vint chercher Balachow, pour le conduire au logement qui lui était destiné ; le général russe dîna ensuite dans la grange avec le maréchal Davout ; Davout lui annonça qu’il partait le lendemain et l’engagea à rester avec le train des bagages : il devait le suivre, s’il recevait l’ordre d’avancer, et ne communiquer avec personne, sauf avec M. de Castries.

Au bout de quatre jours de solitude et d’ennui, pendant lesquels il s’était forcément rendu compte de sa nullité et de son impuissance à agir, d’autant plus sensible pour lui, qu’hier encore il était dans une sphère toute puissante ; après quelques étapes faites à la suite des bagages personnels du maréchal Davout et au milieu des troupes françaises, qui occupaient toute la localité, Balachow fut ramené à Vilna, et y rentra par la même barrière qu’il avait franchie quatre jours auparavant.

Le lendemain matin, un chambellan de l’Empereur, M. de Turenne, vint lui annoncer de la part de son maître qu’il lui accordait une audience.

Peu de jours auparavant, des sentinelles du régiment de Préobrajensky avaient monté la garde à l’entrée de la maison où l’on conduisit Balachow : il y avait maintenant deux grenadiers français, aux uniformes gros-bleu à revers et en bonnets à poils, une escorte de hussards, de lanciers, et une brillante suite d’aides de camp attendant la sortie de Napoléon. Ils étaient groupés au bas du perron près de son cheval de selle, dont le mamelouk Roustan tenait les brides. Ainsi, Napoléon le recevait dans la même maison où Alexandre lui avait confié son message.


VI

Le luxe et la magnificence déployés autour de l’Empereur des Français surprirent Balachow, bien qu’il fût habitué à la pompe des cours.

Le comte de Turenne l’amena dans une grande salle de ré-