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la loge voisine ; une magnifique natte de cheveux blonds était posée en diadème sur sa tête ; elle avait autour du cou un collier de grosses perles à double rang, et ses épaules, très décolletées, étaient remarquables par leur blancheur et leur forme irréprochable. Elle mit beaucoup de temps à s’asseoir, et étala avec fracas la riche étoffe de sa robe.

Natacha admirait les détails et l’ensemble de cette splendide créature, lorsque, le regard de la splendide créature ayant rencontré celui du comte Rostow, elle le salua d’un sourire et d’un mouvement de tête amical. C’est la femme de Pierre, la comtesse Besoukhow. Le comte, qui connaissait toute la ville, se pencha vers elle.

« Y a-t-il longtemps que vous êtes arrivée, comtesse, lui dit-il… Permettez-moi d’aller vous baiser la main dans un moment… Quant à moi, je suis venu ici pour affaires, et j’ai amené mes fillettes… On dit la Séménova parfaite… Et le comte, est-il ici ?

— Oui, il avait l’intention de venir, » répondit Hélène, en examinant Natacha avec attention.

Le comte Ilia Andréïévitch se rassit.

« Elle est belle, n’est-ce pas ? dit-il tout bas à Natacha.

— Merveilleusement belle, répliqua Natacha. Je comprends qu’on se prenne de passion pour elle. »

L’ouverture finie, le chef d’orchestre frappa les trois coups de rigueur. Chacun gagna sa place dans le parterre, le rideau se leva, et il se fit un grand silence. Les jeunes, les vieux, les militaires, les civils, les femmes aux épaules et aux bras nus, couverts de bijoux, tous fixèrent les yeux du côté de la scène, et Natacha suivit leur exemple.


IX

Des décors figurant des arbres s’élevaient de chaque côté du plancher de la scène ; des jeunes filles en jupon court et en corsage rouge se tenaient groupées au milieu ; l’une d’elles, très forte, et habillée de blanc, assise à l’écart de ses compagnes sur un escabeau, était adossée à un morceau de carton peint en vert. Toutes chantaient en chœur. Lorsqu’elles eurent fini, la grosse fille en blanc s’avança vers le trou du