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dit qu’elle buvait à longs traits, non pas l’air de tous les jours, mais une essence vivifiante de jeunesse et de bonheur éternels.

« Tout droit, mademoiselle, tout droit et ne regardez pas en arrière.

— Je n’ai pas peur, » répondit Sonia, dont les petits souliers résonnèrent sur la pierre de l’escalier, et avancèrent en craquant sur le tapis de neige, dans la direction de Nicolas, qu’elle venait d’apercevoir à deux pas devant elle. Elle courut à lui, mais ce n’était pas non plus son Nicolas de tous les jours ! Qu’est-ce qui pouvait l’avoir transformé à ce point ? Était-ce son costume de femme avec ses cheveux ébouriffés, ou ce sourire heureux, qui lui était si peu habituel, et qui dans ce moment rayonnait sur ses traits ?

Mais Sonia est tout autre, toute différente de ce qu’elle est d’ordinaire, et cependant c’est bien la même ! se disait de son côté Nicolas, en regardant sa jolie petite figure éclairée par un rayon de lune. Ses deux bras se glissèrent sous la pelisse qui l’enveloppait, enlacèrent sa taille, l’attirèrent à lui, et il baisa ses lèvres, sur lesquelles il sentit encore l’odeur de bouchon brûlé de sa moustache d’emprunt.

« Sonia ! Nicolas ! » murmurèrent-ils tous deux, et les petites mains de Sonia étreignirent à leur tour le visage de Nicolas ; puis, en entrelaçant leurs doigts, ils coururent jusqu’à la grange, et revinrent sur leurs pas, pour rentrer chacun par la porte qui les avait vus sortir.


XII

Natacha, qui avait tout observé, arrangea les choses de telle façon qu’au retour, elle, Mme Schoss et Dimmler se mirent dans le même traîneau, pendant que Nicolas, Sonia et les filles de service montaient dans un autre.

Nicolas ne songeait plus à faire courir ses chevaux : ses yeux se fixaient involontairement sur Sonia, et cherchaient à découvrir, sous cette moustache noire et ces sourcils arqués, sa Sonia d’autrefois, sa Sonia dont rien ne pourrait plus désormais le séparer ! La lumière féerique et changeante de la lune, le souvenir du baiser sur ces lèvres adorées, l’aspect de la terre brillante qui fuyait sous les pas de leurs chevaux, ce ciel noir semé