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anglais pour cirer les bottes de son général. (Alphonse Karr, Sous les tilleuls.)


Ils vous prennent un homme dans la force de la jeunesse, ils lui mettent un fusil entre les mains, un sac sur le dos, ils le marquent à la tête d’une cocarde, puis ils lui disent : Mon confrère de Prusse a des torts envers moi, tu vas courir sus à tous ses sujets. Je les ai fait prévenir par mon huissier, que j’appelle un héraut, que le 1er avril prochain, tu auras l’honneur de te présenter sur la frontière pour les égorger et qu’ils aient à se tenir prêts à te bien recevoir. Entre monarques ce sont des égards qu’on se doit, Tu croiras peut-être, au premier aspect, que nos ennemis sont des hommes ; mais ce ne sont pas des hommes, je t’en préviens, ce sont des Prussiens ; tu les distingueras de la race humaine à la couleur de leur uniforme. Tâche de bien faire ton devoir, car je serai là assis sur mon trône qui te regarderai. Si tu remportes la victoire, quand vous reviendrez en France, on vous amènera sous les fenêtres de mon palais ; je descendrai en grand uniforme et vous dirai : Soldats, je suis content de vous. Si vous êtes cent mille hommes, tu auras pour ta part un cent millième de ces six paroles. Au cas où tu resterais sur le champ de bataille, ce qui pourrait fort bien arriver, j’enverrai ton extrait mortuaire à ta famille afin qu’elle puisse te pleurer et que tes frères puissent hériter de toi. Si tu perds un bras ou une jambe, je te les paierai ce qu’ils valent, mais si tu as le bonheur ou le malheur, comme tu voudras, d’échapper au boulet, quand tu n’auras plus la force de porter ton sac, je te donnerai ton congé et tu iras crever où tu voudras, cela ne me regardera plus. (Claude Tillier, Mon oncle Benjamin.)