Page:Tolstoï - Dernières Paroles.djvu/262

Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans l’espace, en mouvement dans le temps. L’homme prend d’abord pour sa vie les limites qui se présentent à lui comme la matière en mouvement, qui le séparent de tout, et il croit que sa vie est naturellement bornée par l’espace ; et dans le mouvement de cette matière dans le temps, il voit sa vie, et dans la cessation du mouvement de cette matière, il voit la cessation de sa vie.

XI. — L’homme est soutenu dans cette conviction par l’observation des autres êtres qui se présentent à lui comme la matière dans l’espace en mouvement dans le temps. L’observation de la continuité du mouvement de la matière chez les autres êtres fait croire à l’homme que sa vie aussi se meut sans interruption dans le temps, bien qu’intérieurement, non seulement il ne ressente pas la continuité des mouvements, mais n’éprouve qu’une seule conscience, immobile, toujours égale à elle-même, et qui, uniquement pour l’observation extérieure, se divise par les espaces du sommeil, de la folie, et des passions. Mais, en réalité, elle est toujours la même.

XII. — De sorte que les hommes attribuent deux sens différents au mot « vie » : 1o la conception d’une matière mobile, séparée de tout le reste, que l’homme reconnaît par soi-même ; 2o l’immobile, l’être moral toujours égal à lui-même que l’homme reconnaît en sa personne.