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banales, répéter ce que d’autres auraient déjà dit, et alors mon opinion n’aurait pas l’importance qu’on lui attribue et pourquoi on l’exige de moi.

Tant qu’à ce que je pense des Juifs et des événements de Kichinev ce devrait être clair pour tous ceux qui s’intéressent à mes idées. Mes sentiments envers les Juifs ne peuvent être autres que les sentiments envers des frères que j’aime non parce qu’ils sont Juifs mais parce que nous et eux, comme tous les hommes, sommes les fils d’un même père, Dieu. Et cet amour ne m’impose aucun effort, car j’ai rencontré et j’aime de très braves gens, juifs. Quant à ma façon d’envisager les événements de Kichinev, elle se définit de soi-même par mes idées religieuses. Avant même de connaître tous les détails horribles dévoilés par la suite, dès les premiers communiqués des journaux, j’ai éprouvé un sentiment pénible, compliqué, de pitié pour les victimes innocentes des brutalités de la foule, d’indignation devant l’abrutissement de ces gens soi-disant chrétiens, de dégoût et de mépris pour ces gens dits instruits qui excitaient la foule et sympathisaient à ses actes, et, principalement, d’horreur devant le vrai coupable de tout, notre gouvernement avec son clergé qui abrutit et fanatise les hommes et sa bande de brigands-fonctionnaires. Le crime de Kichinev n’est que le résultat direct de la propagation du mensonge et de la violence qu’avec tant de ténacité et d’obstination fait le gouvernement russe.

L’attitude du gouvernement envers cet événement n’est qu’une nouvelle preuve de son égoïsme grossier qui ne s’arrête devant aucune cruauté quand il s’agit de réprimer le mouvement qui lui paraît dangereux, et reste indifférent devant les atrocités les plus effroyables — comme pour les massacres arméniens — si elles n’attentent pas à ses intérêts.