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qui ennuie. On ne peut pas manger quand on n’a pas faim. Pourquoi tout cela, si demain doivent commencer les souffrances de la mort avec toute la lâcheté du mensonge, de la tromperie de soi-même ; si tout se termine par le néant, par le zéro ? Drôle de plaisanterie ! Sois utile, sois vertueux, sois heureux tant que tu vis, se disent les hommes, et toi, et le bonheur et la vertu et l’utilité consistent en la vérité. Et la vérité que j’ai acquise pendant les trente-deux années de mon existence c’est que la situation où nous sommes placés est horrible.

« Prenez la vie telle qu’elle est. Vous vous êtes placés dans cette situation », dit-on. Comment donc prendre la vie telle qu’elle est ! Dès que l’homme arrive au degré supérieur de son développement, il voit clairement que tout est gâchis, tromperie, et que la vérité qu’il aime cependant mieux que tout, est terrible, qu’aussitôt qu’on l’apercevra nettement on se réveillera et dira avec horreur, comme mon frère : « Mais qu’est-ce que c’est ? » Mais, sans doute, tant qu’existe le désir de savoir et de dire la vérité, on tâche de la connaître et de la