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sien, à suivre les mouvements de son front plissé, à le voir se frotter les yeux du revers de ses petites mains aux doigts recourbés ; et, dans ces moments-là, Alexis Alexandrovitch se sentait tranquille, en paix avec lui-même, et ne voyait rien d’anormal à sa situation, rien qu’il éprouvât le besoin de changer.

Et cependant plus il allait, plus il se rendait compte qu’on ne lui permettrait pas de se contenter de cette situation qui lui semblait naturelle, et qu’elle ne serait admise de personne.

En dehors de la force morale, presque sainte, qui le guidait intérieurement, il sentait l’existence d’une autre force brutale, mais toute-puissante, qui dirigeait sa vie malgré lui, et ne lui accorderait pas la paix. Chacun autour de lui semblait interroger son attitude, ne pas la comprendre, et attendre de lui quelque chose de différent.

Quant à ses rapports avec sa femme, ils manquaient de naturel et de stabilité.

Lorsque l’attendrissement causé par l’approche de la mort eut cessé, Alexis Alexandrovitch remarqua combien Anna le craignait, redoutait sa présence, et n’osait le regarder en face ; elle paraissait toujours poursuivie d’une pensée qu’elle n’osait exprimer : c’est qu’elle aussi pressentait la courte durée des relations actuelles, et que, sans savoir quoi, elle attendait quelque chose de son mari.

Vers la fin de février, la petite fille, qu’on avait nommée Anna, du nom de sa mère, tomba malade. Alexis Alexandrovitch l’avait vue un matin avant de se rendre au ministère, et avait fait chercher le