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Les parents et amis arrivèrent ensuite, et ce fut là le début de cette période bienheureuse et absurde dont Levine ne fut quitte que le lendemain de son mariage.

Bien qu’il se sentît toujours gêné et mal à l’aise, cette tension d’esprit n’empêcha pas son bonheur de grandir ; il s’était imaginé que, si le temps qui précédait son mariage ne sortait pas absolument des traditions ordinaires, sa félicité en serait atteinte ; mais, quoiqu’il fît exactement ce que chacun faisait en pareil cas, au lieu de diminuer, cette félicité prenait des proportions extraordinaires.

« Maintenant, faisait remarquer Mlle Linon, nous aurons des bonbons tant que nous voudrons » ; et Levine courait acheter des bonbons.

« Je vous conseille de prendre des bouquets chez Famine », disait Swiagesky, et il courait chez Famine.

Son frère fut d’avis qu’il devait emprunter de l’argent pour les cadeaux et les autres dépenses du moment.

« Les cadeaux ? vraiment ? » et il partait, au galop, acheter des bijoux chez Fulda. Chez le confiseur, chez Famine, chez Fulda, chacun semblait l’attendre, et chacun semblait heureux et triomphant comme lui ; chose remarquable, son enthousiasme était partagé de ceux mêmes qui autrefois lui avaient paru froids et indifférents ; on l’approuvait en tout — on traitait ses sentiments avec délicatesse et douceur, on partageait la conviction qu’il exprimait d’être l’homme le plus heureux de la terre,