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par la fenêtre où apparurent les saikis. Tout cela réuni produisit sur Levine une impression si vive qu’il se prit à rire et à pleurer de joie. Après avoir fait un grand tour par la rue des Gazettes et la Kislowka, il rentra à l’hôtel, s’assit, posa sa montre devant lui, et attendit que l’aiguille approchât de midi. Lorsque enfin il quitta l’hôtel, des isvoschiks l’entourèrent avec des visages heureux, se disputant à qui lui offrirait ses services. Évidemment, ils savaient tout. Il en choisit un, et pour ne pas froisser les autres, leur promit de les prendre une autre fois ; puis il se fit conduire chez les Cherbatzky. L’isvoschik était charmant avec le col blanc de sa chemise ressortant de son caftan, et serrant son cou vigoureux et rouge ; il avait un traîneau commode, plus élevé que les traîneaux ordinaires (jamais Levine ne retrouva son pareil), attelé d’un bon cheval qui faisait de son mieux pour courir, mais qui n’avançait pas. L’isvoschik connaissait la maison Cherbatzky ; il s’arrêta devant la porte en arrondissant les bras et se tourna vers Levine avec respect, en disant « prrr » à son cheval. Le suisse des Cherbatzky savait tout, bien certainement ; cela se voyait à son regard souriant, à la façon dont il dit :

« Il y a longtemps que vous n’êtes venu, Constantin Dmitritch ! »

Non seulement il savait tout, mais il était plein d’allégresse et s’efforçait de cacher sa joie. Levine sentit une nuance nouvelle à son bonheur en rencontrant le bon regard du vieillard.