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rêter le bétail du paysan pris en flagrant délit de pâturage sur ses prairies ; il retenait les gages d’un ouvrier forcé, à cause de la mort de son père, d’abandonner le travail en pleine moisson, mais il entretenait et nourrissait les vieux serviteurs hors d’âge ; il laissait attendre les paysans pour aller embrasser sa femme en rentrant, mais il n’aurait pas voulu aller à ses ruches avant de les recevoir. Il n’approfondissait pas ce code personnel, et redoutait les réflexions qui auraient entraîné des doutes et troublé la vue claire et nette de son devoir. Ses fautes trouvaient d’ailleurs un juge sévère dans sa conscience toujours en éveil, et qui ne lui faisait pas grâce.

C’est ainsi qu’il vécut, suivant la route tracée par la vie, toujours sans entrevoir la possibilité de s’expliquer le mystère de l’existence, et torturé de son ignorance au point de craindre le suicide.


CHAPITRE XI


Le jour de l’arrivée de Serge Ivanitch à Pakrofsky avait été plein d’émotions pour Levine.

On était au moment le plus occupé de l’année, à celui qui exige un effort de travail et de volonté qu’on n’apprécie pas suffisamment, parce qu’il se reproduit périodiquement et n’offre que des résultats fort simples. Moissonner, rentrer les blés, faucher, labourer, battre le grain, ensemencer, ce