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nétrable mystère de la divinité, pour s’expliquer ensuite la Création, la Chute, etc.

Hélas, après avoir lu, à la suite de Homiakof, une histoire de l’Église écrite par un écrivain catholique, il retomba douloureusement dans ses doutes ! L’Église grecque orthodoxe et l’Église catholique, toutes deux infaillibles dans leur essence, s’excluaient mutuellement ! et la théologie n’offrait pas de fondements plus solides que la philosophie !

Durant tout ce printemps il ne fut pas lui-même et traversa des heures cruelles.

« Je ne puis vivre sans savoir ce que je suis et dans quel but j’existe ; puisque je ne puis atteindre à cette connaissance, la vie est impossible », se disait Levine.

« Dans l’infinité du temps, de la matière, de l’espace, une cellule organique se forme, se soutient un moment, et crève… Cette cellule, c’est moi ! »

Ce sophisme douloureux était l’unique, le suprême résultat du labeur de la pensée humaine pendant des siècles ; c’était la croyance finale, sur laquelle se basaient les recherches les plus récentes de l’esprit scientifique, c’était la conviction régnante ; Levine, sans qu’il sût au juste pourquoi, et simplement parce que cette théorie lui semblait la plus claire, s’en était involontairement pénétré.

Mais cette conclusion lui paraissait plus qu’un sophisme : il y voyait l’œuvre dérisoire de quelque