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que le jeune homme maladif était un marchand, qui, à peine âgé de vingt-deux ans, était parvenu à manger une fortune considérable, et croyait s’être attiré l’admiration du monde entier en partant pour la Serbie. C’était un enfant gâté, perdu de santé et plein de suffisance ; il fit la plus mauvaise impression au professeur.

Le second ne valait guère mieux ; il avait essayé de tous les métiers, et parlait de toute chose sur un ton tranchant et avec la plus complète ignorance.

Le troisième, au contraire, plut à Katavasof par sa modestie et sa douceur ; la présomption et la fausse science de ses compagnons lui imposaient, et il se tenait sur la réserve.

« Qu’allez-vous faire en Serbie ? lui demanda le professeur.

— J’y vais, comme tout le monde, essayer de me rendre utile.

— On y manque d’artilleurs.

— Oh ! j’ai si peu servi dans l’artillerie ! » Et il raconta que, n’ayant pu subir ses examens, il avait dû quitter l’armée comme sous-officier.

L’impression générale produite par ces personnages était peu favorable ; un vieillard en uniforme militaire, qui les écoutait avec Katavasof, ne semblait guère plus édifié que lui, il trouvait difficile de prendre au sérieux ces héros dont la valeur militaire se puisait surtout dans leurs gourdes de voyage mais, devant la surexcitation actuelle des esprits, il était imprudent de se prononcer franchement ; le vieux militaire, interrogé par Katavasof sur l’im-