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enfant. Anna avait aussitôt appliqué cette critique à ses propres occupations, et, afin de piquer Wronsky à son tour, avait répondu :

« Je ne comptais certes pas sur votre sympathie, mais je me croyais en droit d’attendre mieux de votre délicatesse. »

Le comte avait rougi et, pour achever de froisser Anna, s’était permis de dire :

« J’avoue que je ne comprends rien à votre engouement pour cette petite fille ; il me déplaît, je n’y vois qu’une affectation. »

L’observation était dure et injuste, et elle s’attaquait aux laborieux efforts d’Anna pour se créer une occupation qui l’aidât à supporter sa triste position.

« Il est bien malheureux que les sentiments grossiers et matériels vous soient seuls accessibles », avait-elle reparti en quittant la chambre.

Cette discussion ne fut pas reprise ; mais tous deux sentirent qu’ils n’oubliaient pas ; une journée entière passée dans la solitude avait cependant fait réfléchir Anna, et, malheureuse de la froideur de son amant, elle prit la résolution de s’accuser elle-même, afin d’amener à tout prix une réconciliation.

« C’est mon absurde jalousie qui me rend irritable ; mon pardon obtenu, nous partirons pour la campagne, et là je me calmerai, pensa-t-elle. Je sais bien qu’en m’accusant d’affecter de la tendresse pour une étrangère, il me fait le reproche de ne pas aimer ma fille. Hé, que sait-il de l’amour qu’un enfant peut inspirer ? Se doute-t-il de ce que