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ment Alexis Alexandrovitch ; mais dans une question semblable on ne peut prendre conseil de personne : je suis décidé.

— C’est affreux ! soupira Stépane Arcadiévitch ; je t’en conjure : si, comme je le comprends, l’affaire n’est pas encore entamée, ne fais rien avant d’avoir causé avec ma femme. Elle aime Anna comme une sœur, elle t’aime, et c’est une femme de sens. Par amitié pour moi, cause avec elle. »

Alexis Alexandrovitch se tut et réfléchit ; Stépane Arcadiévitch respecta son silence ; il le regardait avec sympathie.

« Pourquoi ne pas venir dîner avec nous, au moins aujourd’hui ? Ma femme t’attend. Viens lui parler ; c’est, je t’assure, une femme supérieure. Parle-lui, je t’en conjure.

— Si vous le désirez à ce point, j’irai, » dit en soupirant Alexis Alexandrovitch.

Et pour changer de conversation il demanda à Stépane Arcadiévitch ce qu’il pensait de son nouveau chef, un homme encore jeune, dont l’avancement rapide avait étonné. Alexis Alexandrovitch ne l’avait jamais aimé, et il ne pouvait se défendre d’un sentiment d’envie, naturel chez un fonctionnaire sous le coup d’un insuccès.

« C’est un homme qui paraît être fort au courant des affaires et très actif.

— Actif, c’est possible, mais à quoi emploie-t-il son activité ? est-ce à faire du bien ou à détruire ce que d’autres ont fait avant lui ? Le fléau de notre gouvernement, c’est cette bureaucratie paperas-