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examinant les groupes qui se formaient, il prêta l’oreille à ce qu’on disait autour de lui. Au milieu de cette foule il distingua, vêtu d’un antique uniforme de général de l’état-major, le vieux propriétaire à moustaches grises qu’il avait vu jadis chez Swiagesky ; leurs yeux se rencontrèrent et ils se saluèrent cordialement.

« Charmé de vous revoir, dit le vieillard ; certes oui je me rappelle le plaisir de vous avoir vu chez Nicolas Ivanitch.

— Comment vont vos affaires de campagne ?

— Mais toujours avec perte, répondit le vieillard doucement et d’un air convaincu, comme si ce résultat était le seul qu’il admît. Et vous, comment se fait-il que vous preniez part à notre coup d’État ? La Russie entière paraît s’y être donné rendez-vous ; nous avons jusqu’à des chambellans, peut-être des ministres, dit-il en désignant Oblonsky, dont la haute taille imposante faisait sensation.

— Je vous avoue, répondit Levine, que je ne comprends pas grand’chose à l’importance de ces élections de la noblesse. »

Le vieillard le regarda étonné.

« Mais qu’y a-t-il à comprendre ? et quelle importance peuvent-elles avoir ? C’est une institution en décadence, qui se prolonge par la force d’inertie. Voyez tous ces uniformes : vous avez devant vous des juges de paix, des employés, non des gentilshommes.

— Pourquoi, en ce cas, venez-vous aux assemblées ?