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en mon absence », répondit-il sans la regarder, convaincu de l’hypocrisie de sa femme.

À peine fut-il dans son cabinet qu’il entendit le pas bien connu de Kitty descendant l’escalier avec une imprudente vivacité. Elle frappa à sa porte.

« Que veux-tu ? Je suis occupé, dit-il sèchement.

— Excusez-moi, fit Kitty entrant et, s’adressant à l’Allemand : j’ai un mot à dire à mon mari. »

Le mécanicien voulut sortir, mais Levine l’arrêta.

« Ne vous dérangez pas.

— Je ne voudrais pas manquer le train de trois heures », fit remarquer l’Allemand.

Sans lui répondre, Levine sortit avec sa femme dans le corridor.

« Que voulez-vous ? lui demanda-t-il froidement en français, sans vouloir remarquer son visage contracté par l’émotion.

— Je… je voulais te dire que cette vie est un supplice…, murmura-t-elle.

— Il y a du monde à l’office, ne faites pas de scènes », dit-il avec colère.

Kitty voulut l’entraîner dans une pièce voisine, mais Tania y prenait une leçon d’anglais ; elle l’emmena au jardin.

Un jardinier y nettoyait les allées ; peu soucieuse de l’effet que pouvait produire sur cet homme son visage couvert de larmes, Kitty avança rapidement, suivie de son mari, qui sentait comme elle le besoin d’une explication et d’un tête-à-tête, afin de rejeter loin d’eux le poids de leur tourment.