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se sentaient confus de leur bonheur, comme d’une allusion indiscrète à la maladresse de ceux qui ne savaient pas être heureux.

Stépane Arcadiévitch, et peut-être le vieux prince, devaient arriver par le train du soir.

« Alexandre ne viendra pas, croyez-moi, disait la princesse : il prétend qu’on ne doit pas troubler la liberté de deux jeunes mariés.

— Papa nous abandonne ; grâce à ce principe, nous ne le voyons plus, dit Kitty ; et pourquoi nous considère-t-il comme de jeunes mariés, quand nous sommes déjà d’anciens époux ? »

Le bruit d’une voiture dans l’avenue interrompit la conversation.

« C’est Stiva, cria Levine, et je vois quelqu’un auprès de lui, ce doit être papa ; Gricha, courons au-devant d’eux. »

Mais Levine se trompait ; le compagnon de Stépane Arcadiévitch était un beau gros garçon, coiffé d’un béret écossais avec de longs rubans flottants, nommé Vassia Weslowsky, parent éloigné des Cherbatzky et un des ornements du beau monde de Moscou et Pétersbourg. Weslowsky ne fut aucunement troublé du désenchantement causé par sa présence ; il salua gaiement Levine, lui rappela qu’ils s’étaient rencontrés autrefois, et enleva Gricha pour l’installer dans la calèche.

Levine suivit à pied : contrarié de ne pas voir le prince, qu’il aimait, il l’était plus encore de l’intrusion de cet étranger dont la présence était parfaitement inutile ; cette impression fâcheuse